Guérilla – Laurent Obertone : le roman qui dérange

Introduction : un roman comme signal d’alarme

Laurent Obertone n’écrit pas pour plaire. Il écrit pour secouer. Pour déranger. Pour poser sur la table les questions qu’une société chloroformée refuse de formuler. Son roman Guérilla : Le jour où tout s’embrasa, premier tome d’une trilogie parue en 2016, s’inscrit dans cette logique. Ce n’est pas un divertissement, c’est une claque. Une mise en garde. Une simulation hyperréaliste de ce qui pourrait advenir d’une France en état de délitement avancé. À la croisée du roman noir, du thriller politique et du récit survivaliste, Guérilla est un miroir brisé tendu à notre époque. L’œuvre, sulfureuse, a suscité des débats, des condamnations, mais aussi des admirations discrètes.

Ce n’est pas un livre aimable. C’est un livre nécessaire.

L’argument du roman : quand le vernis civilisé craque

La trame du roman repose sur une hypothèse glaçante : que se passerait-il si une émeute urbaine, partie d’un fait divers banal, se propageait comme une traînée de poudre sur tout le territoire français ? Obertone répond par l’exemple, en déroulant heure par heure, presque minute par minute, le processus d’effondrement d’un pays. En quelques jours, la France s’enfonce dans le chaos : émeutes incontrôlées, pillages massifs, services publics paralysés, effondrement des chaînes de commandement, multiplication des lynchages, surgissement de milices, guerre civile larvée.

Les causes ? Un mélange explosif de tensions ethniques, de faiblesse institutionnelle, de haine sociale, de désinformation médiatique et de lâcheté politique. Obertone n’invente rien : il extrapole, amplifie, pousse à l’extrême des tendances déjà à l’œuvre. C’est ce réalisme brutal qui donne sa force au roman.

Une narration éclatée, rythmée, haletante

Obertone adopte une narration chorale : chaque chapitre suit un personnage différent, avec des transitions rapides, parfois brutales. On suit un policier en fin de course, une ministre dépassée, un journaliste cynique, un jeune banlieusard, un paysan survivaliste, un retraité nostalgique, un médecin débordé. Ce kaléidoscope de points de vue permet de cartographier le chaos sous toutes ses coutures.

Le style est direct, nerveux, tranchant. Courts paragraphes. Phrases sèches. Rythme martelé. Cela donne une impression d’urgence, de panique contenue. L’écriture colle au propos : pas de lyrisme, pas de psychologie à rallonge. Du brut. Du sec. De l’efficace.

Une œuvre polémique mais lucide

On a accusé Obertone de jouer sur les peurs, de sombrer dans le fantasme d’extrême droite, d’attiser les tensions. Mais il faut lire Guérilla autrement. Ce n’est pas une œuvre de propagande, c’est une fiction d’anticipation sombre, dans la lignée de 1984, Le Camp des Saints ou Soumission. Le but n’est pas d’asséner une vérité, mais de poser une question dérangeante : et si cela arrivait ? Et si notre société, que l’on croit stable, civilisée, solide, n’était qu’une illusion fragile ?

Obertone ne fait pas de sociologie universitaire. Il fait de la politique-fiction. Et comme toute bonne dystopie, son roman parle du présent sous couvert du futur. Il décortique les failles : communautarisme croissant, perte d’autorité, immigration mal maîtrisée, haine des élites, fracture sociale, effondrement du civisme. On peut refuser le diagnostic, mais on ne peut nier les symptômes.

Une galerie de personnages révélateurs

Les personnages ne sont pas là pour séduire, mais pour incarner. Le flic, usé, vidé, dépassé, symbolise l’impuissance de l’État. Le jeune émeutier, à la fois victime et bourreau, incarne une jeunesse désœuvrée, sans repères. La ministre technocrate montre le déni des élites. Le survivaliste paranoïaque révèle la perte de confiance dans les institutions. Chaque figure est un archétype social, une loupe sur un angle mort de la société française.

Ces personnages ne sont pas héroïques. Ce sont des hommes et des femmes ordinaires, jetés dans une situation extraordinaire. Et c’est là que réside la force du récit : on y croit, parce qu’on y reconnaît des visages familiers. Ce ne sont pas des clichés, ce sont des avertissements.

Une mécanique de l’effondrement

Ce qui rend Guérilla si percutant, c’est sa capacité à modéliser l’effondrement. Obertone ne se contente pas de décrire des émeutes : il montre comment elles prolifèrent, comment l’effet domino se met en place, comment la peur se propage, comment l’État, faute de volonté et de moyens, capitule. Il insiste sur les seuils critiques : un commissariat qui tombe, un supermarché pillé, une bavure médiatisée, une coupure de courant, et tout bascule.

Le roman est aussi une leçon de stratégie insurrectionnelle. Il montre comment une minorité déterminée peut désorganiser un pays entier. Comment la rumeur, l’image, la panique, sont des armes plus efficaces que les fusils. Obertone s’est documenté : le roman est truffé de détails réalistes, de procédures, de dialogues crédibles.

Une esthétique du réel brut

Il n’y a pas de beauté dans Guérilla. Pas de salut. Pas de rédemption. C’est un monde qui se désagrège. Mais dans cette noirceur, il y a une forme d’honnêteté : Obertone ne cherche pas à enjoliver. Il ne moralise pas. Il expose. À chacun d’en tirer les conclusions. Cette esthétique du réel brut peut rebuter, mais elle est salutaire : elle force à ouvrir les yeux.

Dans une époque où tout est lissé, aseptisé, politiquement correct, une œuvre comme Guérilla a une fonction d’électrochoc. Elle fait le sale boulot. Celui de réveiller les endormis.

Ce que « Guérilla » dit de notre époque

Ce n’est pas un roman sur le futur. C’est un roman sur aujourd’hui. Sur notre impuissance, notre confort, notre déni. Il montre une société sans colonne vertébrale, où tout repose sur une paix de façade, un équilibre instable. Il met en lumière les conséquences de décennies de renoncements : sécurité sacrifiée, identité fragmentée, autorité délégitimée.

L’ouvrage pointe aussi la responsabilité des médias, qui au lieu d’informer, désinforment ; des politiques, qui au lieu d’agir, communiquent ; des citoyens, qui au lieu de s’impliquer, consomment. C’est un réquisitoire contre l’anesthésie collective.

Une lecture indispensable pour les lucides

Lire Guérilla, c’est accepter d’être bousculé. C’est accepter de regarder le gouffre. Ce n’est pas agréable, mais c’est utile. C’est un test de lucidité. Ceux qui fuient ce livre fuient la réalité qu’il dévoile. Ceux qui l’affrontent en sortent changés.

Ce roman ne donne pas de solution. Il pose un constat. Il crée un choc. Fait naître une prise de conscience. Il oblige à se demander : et moi, qu’est-ce que je ferais si tout s’effondrait ?

Conclusion : lire Obertone, c’est choisir la lucidité

Sur Babilor, nous ne conseillons pas des lectures légères ou consensuelles. Nous recommandons des armes intellectuelles, des éclairs de lucidité, des boussoles pour temps troublés. Guérilla de Laurent Obertone en fait partie.

Si tu veux comprendre la fragilité de notre époque, si tu veux tester ta capacité à regarder le réel sans filtres, si tu veux un livre qui te laisse marqué, éveillé, transformé, alors lis Guérilla.

Pas pour te faire peur. Mais pour apprendre à ne plus l’avoir.

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